• "Quand le James Bond français était parachuté sur la France"

    "Quand le James Bond français était parachuté sur la France"

    "Quand le James Bond français était parachuté sur la France"

    Source : http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/06/06/quand-le-james-bond-francais-etait-parachute-sur-la-france_4433880_3224.html

     

    Son nom est Maloubier. Bob Maloubier. Le parallèle avec James Bond s'impose. A 91 ans, l'homme conserve un incroyable bagou, un charme aussi énorme que ses moustaches soignées et un goût prononcé pour le champagne. Après une vie à parcourir le monde et à monter des coups tordus pour le compte des services secrets français, puis de la compagnie pétrolière Elf, il est de retour où tout a commencé. Hasard ou destin, sa maison de campagne en Normandie se trouve tout près de là où il a été parachuté la première fois.

    « METTEZ L'EUROPE À FEU ! »

    C'était en août 1943. Le jeune Bob, neuilly-pontain bien sous tous abords, saute sur Louviers. Agé de tout juste 20 ans, il arrive avec une mission essentielle, que Winston Churchill a résumé quelques années auparavant d'une phrase-slogan : « Mettez l'Europe à feu ! »

    Bob ne travaille pas pour De Gaulle et son BCRA (Bureau central de renseignements et d'action). Comme il le raconte dans son autobiographie, Agent secret de Churchill (Tallandier, 2011), il a été recruté par les Britanniques, à Alger où il était arrivé l'année précédente en voulant rejoindre Londres. Il appartient à l'ultraconfidentiel Special Operations Executive (SOE), le « bébé » de Churchill, en charge de l'action « subversive ». Face à l'Europe défaite, le Vieux Lion a imaginé d'envoyer sur le terrain des agents pour mener une guérilla de l'intérieur, à coup d'attentats et de lutte « asymétrique » comme on dit aujourd'hui. Dans chaque pays occupé, il envoie des petites équipes de trois personnes – un spécialiste des explosifs, un chargé des liaisons radio, un chef de groupe – qui ont pour mission de faire dérailler les trains, sauter les ponts, détruire les usines…

     

    Pendant la seconde guerre mondiale, 13 000 personnes travailleront pour le SOE. Seule une minorité sont des agents sur le terrain, le reste travaillant en soutien depuis l'Angleterre. La section française comptera environ 350 agents. Aujourd'hui, Bob Maloubier est l'un des deux derniers encore en vie.

    En cet été 1943, le Débarquement se prépare, tout le monde le sait. Où et quand, rien n'est sûr, mais il faut affaiblir les fortifications du mur de l'Atlantique mis en place par Rommel. Bob reçoit par radio clandestine le nom des cibles industrielles qu'il doit viser : une usine qui fabrique des pièces de train d'atterrissage d'avions, une autre qui fournit en électricité la zone industrielle de Rouen, et – son plus beau coup – un navire ravitailleur de sous-marins au Havre. « J'ai fourni l'explosif à un de mes gars, qui travaillait au port. Il l'a mis dans la soute. Le lendemain, on ne voyait plus que le drapeau du navire qui sortait de l'eau ! »

    SAUVÉ DE LA MORT PAR LE GEL

    Pendant cinq mois, Bob Maloubier tisse son réseau en France. Une longévité exceptionnelle, alors que la durée de vie moyenne des agents du SOE en mission est de six semaines. ça ne pouvait pas durer. Dans la nuit du 20 décembre 1943, en route sur sa Mobylette, Bob tombe sur une voiture de la Wehrmacht. Capturé, il parvient à s'échapper, mais il est touché d'une balle qui lui transperce foie et poumon. Crachant le sang, haletant, il s'enfuit à toutes jambes, traverse un canal pour échapper aux chiens et s'écroule dans un champ. Dehors, il fait moins 10 degrés.

    « Ce jour-là, je suis mort. » Ou plutôt il serait mort d'une hémorragie par un temps normal. Mais le froid arrête le saignement. « Je me suis réveillé le lendemain, une gaine de glace autour de moi. » Il se traîne jusqu'à un médecin, qui le soigne comme il peut. Quelques mois plus tard, il est remis d'aplomb, et parvient à rentrer à Londres. Pendant que les agents du SOE mettent « l'Europe à feu », les services secrets de Sa Majesté travaillent depuis l'Angleterre à un autre plan, essentiel au succès du Débarquement : Fortitude. C'est le nom de code d'une gigantesque opération de désinformation, pour faire croire aux Allemands que le Débarquement aura lieu ailleurs qu'en Normandie. Au nord, l'objectif est de faire gober à l'ennemi qu'en Ecosse, une quatrième armée britannique – qui n'existe pas – est prête à attaquer par la Norvège. Au sud-est de l'Angleterre, il s'agit d'inventer la First United States Army Group (Fusag), qui préparerait une offensive dans le Pas-de-Calais.

    ARABEL, L'AGENT DOUBLE VENU D'ESPAGNE

    Dans son livre paru en mai, Les Secrets du jour J. L'Opération Fortitude ou comment Churchill mystifia Hitler (éditions La Boétie), Bob Maloubier raconte comment un improbable petit Espagnol va jouer un rôle décisif dans son succès. Quelle mouche a donc piqué Juan Pujol Garcia ? Scandalisé par la victoire d'Hitler, opposé à la dictature de Franco, il se présente un jour de 1941 à l'ambassade de Grande-Bretagne à Madrid, proposant d'être espion. On lui rit au nez, ne sachant d'où sort cet olibrius. Il se dit qu'il aura peut-être plus de chance d'être accepté s'il devient… agent allemand dans un premier temps.

    Il y parvient, retourne voir les Alliés, leur propose d'être agent double. Nouveau rejet, jusqu'à ce qu'un Américain s'intéresse de près à cet étrange Juan Pujol Garcia et convainque ses homologues britanniques de l'utilisation qui peut en être faite. Enfin arrivé en Grande-Bretagne, et sous contrôle étroit, Arabel – son nom de code – envoie de multiples messages aux Allemands, s'invente un réseau et des collaborateurs, complètement fictifs. De temps à autre, il donne des informations correctes, pour gagner leur confiance.

    Quand arrive le Débarquement, tout est en place : la guerre d'usure du SOE d'un côté, celle de désinformation des agents doubles de l'autre. Le 6 juin, Arabel – avec l'approbation directe de Churchill – tente un coup de maître : dès 3 heures du matin, il envoie un message avertissant d'un important débarquement sur les plages de Normandie. Son bureau de liaison en Espagne étant fermé la nuit, les officiers sur place ne recevront l'information que bien trop tard. Mais leur confiance en Arabel est désormais complète.

    FAIRE SAUTER DEUX PONTS PAR NUIT

    Deux jours plus tard, ils sont donc prêts à le croire quand celui ci leur révèle que le vrai Débarquement aura lieu dans le Pas-de-Calais. « L'offensive actuelle est un piège… Ne lançons pas toutes nos réserves… », avertit-il par radio. Le haut-commandement allemand ordonne immédiatement aux unités parties en renfort vers la Normandie de faire demi-tour.

    Parallèlement, le 7 juin, Bob Maloubier et son équipage s'envolent d'Angleterre. Destination : le Limousin. Objectif : saboter la remontée de la redoutable division Das Reich, qui part à la rescousse vers la Normandie. A raison de deux ponts par nuit, Bob ralentit leur progression. « Je faisais sauter les ponts la nuit. Le lendemain, une locomotive blindée des Allemands venait, ils réparaient, se retiraient… et je recommençais la nuit d'après. » Au total, Das Reich prendra quinze jours de retard.
    Entre les renforts allemands bloqués dans le Pas-de-Calais et ceux immobilisés par les embuscades du SOE, les troupes alliées ont bénéficié d'un répit inestimable. Point commun dans cette bataille : Winston Churchill, et son goût des coups tordus.

    Pourtant, en France, l'existence du SOE a longtemps été passée sous silence. De Gaulle ne voulait pas en entendre parler : après la guerre, il a tout fait pour en taire les exploits. La Résistance se devait d'être exclusivement française. Le livre de référence de l'historien Michael Foot sur le SOE, publié en 1966, ne sera traduit en français… qu'en 2008 (Des Anglais dans la Résistance. Le SOE en France, 1940-1944, préfacé par Jean Louis Crémieux Brilhac, Tallandier, 2011, 2e éd.). Et soixante-dix ans plus tard, Bob Maloubier sait qu'il sera invité aux cérémonies de commémorations… par les Britanniques, pas par les Français.


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